mercredi 21 novembre 2012

Le musée imaginaire de Françoise Hardy (L'Express)

La chanteuse, qui sort simultanément un livre et un album intitulés L'Amour fou, raconte ses passions artistiques dans son musée imaginaire.

Par Gilles Médioni, L'Express, publié le 21/11/2012 à 10:00 

A l'interphone, la voix est douce et souriante. Françoise Hardy annonce qu'elle descend ouvrir. La voici : longue silhouette, pantalon noir, cheveux blancs. Cinquante ans ont passé depuis Tous les garçons et les filles, mais rien n'a vraiment changé pour cette peintre des amours contrariées. "La plupart de mes textes parlent de la même histoire impossible", explique-t-elle, alors que sortent un livre et un disque baptisés du même titre : L'Amour fou. Elle rit, puis s'excuse de raconter son musée imaginaire allongée sur un canapé - elle est souffrante. Chère Françoise, vous êtes tout excusée. 

Musique - Charles Trenet

"On n'a plus de tels mélodistes aujourd'hui. Trenet me touche davantage que les autres parce que ses musiques sont tristes et légères. Lorsque je suis en Corse, l'été, et que j'ai la nostalgie de la capitale, j'écoute Revoir Paris. J'ai découvert récemment Rendez-vous sous la pluie dans la version de Jean Sablon. Dès que j'aime une chanson, je me précipite sur le Net pour l'acheter. J'écoute aussi beaucoup de musique classique. Ce penchant remonte à mon enfance. Ma mère a eu dans sa vie un baron autrichien qui avait amené quelques vinyles à la maison, dont la 7e Symphonie de Beethoven, que j'ai toujours aimée. Mais ma préférence va au Concerto n° 2 de Rachmaninov. Je l'ai entendu un nombre incalculable de fois et les larmes me montent toujours aux yeux au même passage. Pour les grands mélomanes, apprécier ce concerto très populaire, c'est faire preuve de mauvais goût. Souchon me taquine souvent car il trouve nul que je sois plus Rachmaninov que Bach. Julien Clerc, lui, l'adore. Comme quoi..."

Peinture - Georges de la Tour

"Adolescente, j'adorais voir les reproductions des tableaux de Georges de La Tour dans le Larousse. Mon admiration est restée la même. Son sens de la lumière est ex-tra-or-di-naire. Ses toiles sont d'une très grande beauté. J'ai souvent dit que lorsqu'une oeuvre d'art me touche, je suis à la fois éblouie et déchirée, grandie et rapetissée. Généralement, j'ai horreur des musées, même si j'y ai découvert Bacon. Et Max Ernst, lors d'un épisode très poétique. J'errais seule dans les rues de Venise, l'âme en peine, naturellement, je traversais un amour très douloureux avec un homme qui disparaissait tout le temps - le thème de mon livre - et je tombe sur un palais illuminé. Les portes étaient grandes ouvertes. Je suis entrée et j'ai été impressionnée par un tableau incroyable avec un soleil rouge. C'était un tableau de Max Ernst."

Littérature - Le Temps de l'innocence, d'Edith Wharton

"Son style concis est admirable, son étude de la société, très pointue et pas du tout ennuyeuse. J'aime tous ses livres, surtout Le Temps de l'innocence, dont Martin Scorsese a réalisé une adaptation extrêmement fidèle. Ce devait être une femme d'une grande intelligence. Elle aidait secrètement Henry James en confiant de l'argent à son éditeur. Je me sens comme un poisson dans l'eau dans ces atmosphères parfois désespérantes de la littérature anglo-saxonne de la fin du XIXe siècle. J'avais dans ma bibliothèque depuis vingt ou trente ans Un portrait de femme, d'Henry James, sans l'avoir jamais ouvert. Je l'ai lu un jour, et du coup je me suis plongée dans toute son oeuvre. Les Ailes de la colombe et La Coupe d'or sont de fascinants méandres sentimentaux. Et son roman inachevé, Le Sens du passé, m'a laissée dans un état de frustration épouvantable. Ma chanson L'Amour fou est vaguement inspirée d'une anecdote de L'Américain, que je venais de terminer. Un duel par amour."

Cinéma - Ingrid Bergman dans Les Enchaînés

"Je suis une inconditionnelle d'Alfred Hitchcock, de Vertigo, Sueurs froides, et de tous les films qu'il a tournés avec Ingrid Bergman, dont Les Enchaînés. J'ai une passion pour cette comédienne. Chaque fois que je parle d'elle, je pense à mon beau-père, qui l'avait croisée rue de la Paix, pendant l'Occupation, je crois, et l'avait trouvée gigantesque et sans aucune allure. C'est pourtant le plus beau visage du cinéma qui soit. Sinon, le film que j'ai le plus vu - et ce n'est pas fini - reste Separate Lies, de Julian Fellowes (2005). C'est une oeuvre magnifique, méconnue, qui parle de l'amour vrai. Chaque personnage est confronté à une épreuve devant laquelle il se comporte très dignement."

Séries télé - Downton Abbey

"Thomas [Dutronc] m'a initiée aux séries il y a quelques années avec Grey's Anatomy, Dr House, Six Feet Under. J'aime par-dessus tout Downton Abbey, puisque je suis toujours fan d'histoires sur la difficulté et l'impossibilité d'aimer. Les deux héros sont attirés l'un vers l'autre mais sont persuadés que leur amour n'est pas partagé. On m'offre souvent des coffrets de séries en DVD, mais, pour éviter d'y passer la nuit, je préfère attendre la diffusion des épisodes à la télévision. Cela augmente mon désir. En ce moment, je suis accrochée à Homeland. Je savais que c'était le feuilleton préféré de Barack Obama, alors je l'ai regardée par curiosité et j'en suis mordue. J'attends patiemment la deuxième saison. Si le Dieu là-haut me laisse assez de temps... Quand on vieillit, ça devient une motivation suffisante !" 

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