vendredi 9 novembre 2012

Françoise Hardy : « Je suis une angoissée » (Le Figaro)

INTERVIEW - La chanteuse publie un roman baptisé L'Amour fou, dans la foulée de son nouveau disque.

Crédits photo : Gilles-Marie Zimmermann/Emi France

Par Pierre De Boishue, Olivier Nuc, Le Figaro, 09/11/2012

LE FIGARO. - Comment est né votre nouvel album?

Françoise HARDY. - Quand ma maison de disques m'a contactée, je n'étais pas très motivée! Je craignais de ne pas trouver des mélodies aussi bonnes que celles de mon précédent album, qui n'avait pas très bien marché.

Quel a été le déclic?

J'ai reçu une chanson de Thierry Stremler qui m'a tout de suite plu. Un piano avec un déluge de cordes qui, toutes proportions gardées, m'a fait penser à Rachmaninov. J'ai donc écrit une histoire se déroulant au XIXe siècle que j'ai fini par intituler L'Amour fou, titre devenu par la suite celui de l'album.

Par référence à l'ouvrage  d'André Breton?

Non, je n'ai jamais pu lire ce livre, ni aucun autre d'André Breton d'ailleurs. L'amour fou est une expression tellement courante qu'elle appartient à tout le monde. Peu ou prou, ce thème a finalement servi de direction aux autres textes.

C'est aussi le titre de votre livre…

Mon éditeur me pressait de publier un récit qui dormait dans mes tiroirs depuis une trentaine d'années et que je n'avais pas du tout l'intention de sortir! Et puis j'ai pensé que ce pouvait être une bonne idée de publier pour mes 50 ans de chansons mon nouvel album avec le récit qui a été la matrice de presque tous mes textes depuis le début. Jean-Marie Périer, le photographe de Salut les copains, m'a beaucoup encouragée. Étant indécise de nature, son enthousiasme a eu raison de mes doutes.

Pourquoi avez-vous écrit ce texte?


Parce que je n'allais pas bien! Ma seule façon d'adoucir mes douleurs aura été de les sublimer dans mes chansons ou dans mes écrits. La simple rédaction de ce récit me faisait du bien et me permettait aussi d'y voir plus clair ainsi que, peut-être, de prendre une distance salutaire vis-à-vis de moi-même et de mes tourments.

Refusez-vous beaucoup de mélodies?

Je me suis fixé une règle: ne jamais enregistrer une chanson que je n'aime pas. Quitte à beaucoup blesser son compositeur. Par exemple, j'attendais avec angoisse la chanson promise par Julien Doré, un artiste très talentueux, très attachant. Il s'était tellement investi et a l'air tellement sensible que je craignais de lui faire beaucoup de mal si sa chanson me déplaisait. Quand il me l'a communiquée, j'avais peur de l'écouter et, finalement, j'ai été très soulagée: Normandia est l'une de mes préférées sur cet album.

Comment vous vient l'inspiration?

Je ne suis capable d'écrire qu'à partir d'une mélodie qui me plaît assez pour que je puisse l'écouter non-stop sans jamais me lasser. À partir de là, j'y pense sans cesse. Pour la chanson de Calogero, les paroles du début m'ont été inspirées par la chanson de Guy Béart qui s'appelle Vous. C'est un bijou. J'avais presque envie de la reprendre sur mon album si je manquais de chansons. Le texte dit «Ah j'aurais pu dire encore/Que j'aime tant votre corps/C'est faux, ce que j'aime en vous/C'est vous». Cela m'a inspiré le propos inverse: «J'ignore si ce que j'aime en vous, c'est vous.» Parce qu'en réalité, c'est très difficile de savoir. Est-ce l'autre qu'on aime ou l'idée qu'on s'en fait?

Redoutez-vous la page blanche?

Je suis d'un tempérament angoissé et mon angoisse atteint des sommets au moment de l'écriture. Au soulagement de disposer d'une belle mélodie succède l'angoisse très forte d'être incapable de trouver le moindre mot digne d'intérêt dessus.

Que pensez-vous du retour en force des années yé-yé?


Honnêtement, je m'en fiche. J'entends beaucoup une excellente reprise de Laisse tomber les filles . La troupe de Salut les ­copains , enfin ce que j'en ai entendu à la radio, dégage un vrai dynamisme. Ça peut plaire. Quant à moi, je ne suis pas ­intéressée. Je préfère le travail de mon fils Thomas et celui de Julien Doré. Ce sont les deux artistes que je préfère chez les jeunes gens. Chez les filles, je préfère écouter Camille ou le dernier album de la Grande Sophie que je trouve formidable. J'étais heureuse aussi de faire la connaissance de Katie Melua qui a repris l'un de mes titres, même si j'ai été un peu déçue par sa version. C'est une artiste que j'aime beaucoup.

Que pensez-vous de la scène actuelle?

La voix d'Amel Bent me bluffe. Mais les maisons de disques signent trop d'artistes qui chantent tous de la même façon. Cela dure depuis des années. Je me tiens au courant des meilleures ventes de disques en France et vais souvent sur les sites de téléchargements légaux pour écouter des échantillons. La plupart du temps, je suis consternée.


Êtes-vous nostalgique des stars d'hier?


Dans mon musée imaginaire, je mettrais Trenet, Aznavour, Bécaud, Brassens… d'immenses mélodistes. Une chanson, pour moi, c'est avant tout une mélodie. Le texte est à son service. Je déplore que beaucoup de chanteurs français considèrent que ce soit l'inverse. Ils sont trop cérébraux, trop intellos, pas assez musiciens, et leurs mélodies sont souvent pauvres. Ils veulent simplement dire quelque chose avec des mots plus qu'avec des notes. Ils devraient se contenter d'écrire et laisser la musique tranquille.

Quelles sont les principales qualités de votre fils en tant que musicien?


Écoutez Sésame sur son dernier album. De nos jours, c'est un véritable exploit de faire une mélodie aussi belle, aussi simple et originale avec un texte aussi émouvant, aussi simple et original. Écoutez aussi Viens dans mon île sur l'album précédent. Une pure merveille sur le plan mélodique! Il a été attiré par Django Reinhardt sur le tard. Enfant, il a été bercé par les premières chansons de Véronique Sanson et Michel Berger. Son don pour la mélodie vient en partie de là aussi.

Qu'a-t-il pensé de votre disque?


Je lui ai fait parvenir dès le mixage fini. Il a eu une écoute très attentive et m'a fait part de ses réflexions, toujours très judicieuses. Mais il était trop tard pour modifier quoi que ce soit. Cela m'a fait penser à mon bouquin: je ne l'ouvrirai plus jamais de peur d'y trouver des coquilles et, surtout, parce que plus rien n'est améliorable.

Le monde de la littérature  vous fascine-t-il?

J'ai connu Patrick Modiano dans ma prime jeunesse et je le considère depuis le début comme l'un des plus grands écrivains français contemporains. Son écriture est envoûtante. Même quand je relis ses livres, je ne peux plus m'arrêter!

Et la politique?  Vous avez récemment fait le «buzz» en évoquant les mesures fiscales du gouvernement…


Je ne souhaite pas revenir sur ce sujet. Ce que je peux dire, c'est que tout est fait pour chasser les quelques personnes riches créatrices d'emplois qui vivent encore en France. Je n'en fais évidemment pas partie. Même si j'ai toujours bien vécu de mon travail et suis matériellement très privilégiée, je ne suis pas richissime. Tout le monde devrait lire le livre passionnant d'entretiens croisés d'Alain Juppé et Michel Rocard. Le premier dénonce très intelligemment l'absurdité de l'ISF et le second tombe d'accord avec lui. En conclusion, la France, qui est le seul pays où cet impôt existe, ne peut pas avoir raison contre tout le monde!

L'Amour fou, un album qui sonne juste

Au cours d'une carrière exemplaire, qui court sur cinquante années, Françoise Hardy a parfois exploré d'autres couleurs musicales que la mélancolie pour laquelle elle est la plus connue. On se souvient d'une parenthèse soul-funk effectuée au début des années 1980, qui lui valut quelques tubes. Il y eut aussi les grosses guitares de Le Danger, un album réalisé par Rodolphe Burger au milieu de la décennie suivante, qui déconcerta le public de la chanteuse.

L'Amour fou est peut-être aujourd'hui le disque qui ressemble le plus à son auteur et interprète. L'album n'offre que des chansons lentes, et tristes, qui se déploient comme des variations autour du thème de l'amour malheureux. Pianos, cordes, arrangements teintés de romantisme: Françoise Hardy ne fait aucune concession, ni aux radios ni à l'air du temps. Et cela lui réussit magnifiquement. Thierry Stremler, collaborateur régulier, signe trois des plus saisissantes mélodies de l'album, dont la chanson-titre, qui sonnent déjà comme des classiques. Calogero a apporté le premier single extrait du disque, Pourquoi vous. Julien Doré est le seul collaborateur à ­signer paroles et musique, avec la très ­belle Normandia. Françoise Hardy a écrit elle-même l'ensemble des autres textes, à l'exception notable de Si vous n'avez rien à me dire, poème de Victor Hugo, à la saisissante modernité. La voix de Françoise Hardy n'a jamais sonné aussi juste que sur cet album habilement mis en son par Dominique Blanc-Francard et Bénédicte Schmitt. La tonalité crépusculaire des chansons ne fait jamais verser le ­disque dans le pathos. Ce qui n'est pas le cas du livre qui paraît sous le même titre, ­roman un peu lourd que la chanteuse a écrit par intermittence ces trente ­dernières années. Et si L'Amour fou était le plus beau disque de la carrière de Françoise Hardy? (Olivier Nuc)

Achetez L'amour fou, de Françoise Hardy (Albin Michel): 182 pages, 16,50 euros

Achetez L'Amour Fou, l'album (EMI Music France): 10 titres, en collaboration avec Thierry Stremler, Julien Doré, Benoît Carré, Bertrand Pierre. Dans les bacs le 5 novembre

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