mercredi 21 novembre 2012

Le musée imaginaire de Françoise Hardy (L'Express)

La chanteuse, qui sort simultanément un livre et un album intitulés L'Amour fou, raconte ses passions artistiques dans son musée imaginaire.

Par Gilles Médioni, L'Express, publié le 21/11/2012 à 10:00 

A l'interphone, la voix est douce et souriante. Françoise Hardy annonce qu'elle descend ouvrir. La voici : longue silhouette, pantalon noir, cheveux blancs. Cinquante ans ont passé depuis Tous les garçons et les filles, mais rien n'a vraiment changé pour cette peintre des amours contrariées. "La plupart de mes textes parlent de la même histoire impossible", explique-t-elle, alors que sortent un livre et un disque baptisés du même titre : L'Amour fou. Elle rit, puis s'excuse de raconter son musée imaginaire allongée sur un canapé - elle est souffrante. Chère Françoise, vous êtes tout excusée. 

Musique - Charles Trenet

"On n'a plus de tels mélodistes aujourd'hui. Trenet me touche davantage que les autres parce que ses musiques sont tristes et légères. Lorsque je suis en Corse, l'été, et que j'ai la nostalgie de la capitale, j'écoute Revoir Paris. J'ai découvert récemment Rendez-vous sous la pluie dans la version de Jean Sablon. Dès que j'aime une chanson, je me précipite sur le Net pour l'acheter. J'écoute aussi beaucoup de musique classique. Ce penchant remonte à mon enfance. Ma mère a eu dans sa vie un baron autrichien qui avait amené quelques vinyles à la maison, dont la 7e Symphonie de Beethoven, que j'ai toujours aimée. Mais ma préférence va au Concerto n° 2 de Rachmaninov. Je l'ai entendu un nombre incalculable de fois et les larmes me montent toujours aux yeux au même passage. Pour les grands mélomanes, apprécier ce concerto très populaire, c'est faire preuve de mauvais goût. Souchon me taquine souvent car il trouve nul que je sois plus Rachmaninov que Bach. Julien Clerc, lui, l'adore. Comme quoi..."

Peinture - Georges de la Tour

"Adolescente, j'adorais voir les reproductions des tableaux de Georges de La Tour dans le Larousse. Mon admiration est restée la même. Son sens de la lumière est ex-tra-or-di-naire. Ses toiles sont d'une très grande beauté. J'ai souvent dit que lorsqu'une oeuvre d'art me touche, je suis à la fois éblouie et déchirée, grandie et rapetissée. Généralement, j'ai horreur des musées, même si j'y ai découvert Bacon. Et Max Ernst, lors d'un épisode très poétique. J'errais seule dans les rues de Venise, l'âme en peine, naturellement, je traversais un amour très douloureux avec un homme qui disparaissait tout le temps - le thème de mon livre - et je tombe sur un palais illuminé. Les portes étaient grandes ouvertes. Je suis entrée et j'ai été impressionnée par un tableau incroyable avec un soleil rouge. C'était un tableau de Max Ernst."

Littérature - Le Temps de l'innocence, d'Edith Wharton

"Son style concis est admirable, son étude de la société, très pointue et pas du tout ennuyeuse. J'aime tous ses livres, surtout Le Temps de l'innocence, dont Martin Scorsese a réalisé une adaptation extrêmement fidèle. Ce devait être une femme d'une grande intelligence. Elle aidait secrètement Henry James en confiant de l'argent à son éditeur. Je me sens comme un poisson dans l'eau dans ces atmosphères parfois désespérantes de la littérature anglo-saxonne de la fin du XIXe siècle. J'avais dans ma bibliothèque depuis vingt ou trente ans Un portrait de femme, d'Henry James, sans l'avoir jamais ouvert. Je l'ai lu un jour, et du coup je me suis plongée dans toute son oeuvre. Les Ailes de la colombe et La Coupe d'or sont de fascinants méandres sentimentaux. Et son roman inachevé, Le Sens du passé, m'a laissée dans un état de frustration épouvantable. Ma chanson L'Amour fou est vaguement inspirée d'une anecdote de L'Américain, que je venais de terminer. Un duel par amour."

Cinéma - Ingrid Bergman dans Les Enchaînés

"Je suis une inconditionnelle d'Alfred Hitchcock, de Vertigo, Sueurs froides, et de tous les films qu'il a tournés avec Ingrid Bergman, dont Les Enchaînés. J'ai une passion pour cette comédienne. Chaque fois que je parle d'elle, je pense à mon beau-père, qui l'avait croisée rue de la Paix, pendant l'Occupation, je crois, et l'avait trouvée gigantesque et sans aucune allure. C'est pourtant le plus beau visage du cinéma qui soit. Sinon, le film que j'ai le plus vu - et ce n'est pas fini - reste Separate Lies, de Julian Fellowes (2005). C'est une oeuvre magnifique, méconnue, qui parle de l'amour vrai. Chaque personnage est confronté à une épreuve devant laquelle il se comporte très dignement."

Séries télé - Downton Abbey

"Thomas [Dutronc] m'a initiée aux séries il y a quelques années avec Grey's Anatomy, Dr House, Six Feet Under. J'aime par-dessus tout Downton Abbey, puisque je suis toujours fan d'histoires sur la difficulté et l'impossibilité d'aimer. Les deux héros sont attirés l'un vers l'autre mais sont persuadés que leur amour n'est pas partagé. On m'offre souvent des coffrets de séries en DVD, mais, pour éviter d'y passer la nuit, je préfère attendre la diffusion des épisodes à la télévision. Cela augmente mon désir. En ce moment, je suis accrochée à Homeland. Je savais que c'était le feuilleton préféré de Barack Obama, alors je l'ai regardée par curiosité et j'en suis mordue. J'attends patiemment la deuxième saison. Si le Dieu là-haut me laisse assez de temps... Quand on vieillit, ça devient une motivation suffisante !" 

jeudi 15 novembre 2012

Françoise Hardy invitée du 13h de France 2 le 15 novembre 2012

Françoise Hardy était l'invitée d'Elise Lucet au 13h de France 2, revoir l'interview :

mercredi 14 novembre 2012

Françoise Hardy dans la Boite à Questions de C à vous

Françoise Hardy était l'invitée d'Alessandra Sublet dans C à vous sur France 5 ce 12 novembre 2012, revoir l'émission : Françoise Hardy répond aux questions de la Boite à Questions dans C à vous sur C+ (emission du 12 novembre 2012):

dimanche 11 novembre 2012

vendredi 9 novembre 2012

Françoise Hardy : « Je suis une angoissée » (Le Figaro)

INTERVIEW - La chanteuse publie un roman baptisé L'Amour fou, dans la foulée de son nouveau disque.

Crédits photo : Gilles-Marie Zimmermann/Emi France

Par Pierre De Boishue, Olivier Nuc, Le Figaro, 09/11/2012

LE FIGARO. - Comment est né votre nouvel album?

Françoise HARDY. - Quand ma maison de disques m'a contactée, je n'étais pas très motivée! Je craignais de ne pas trouver des mélodies aussi bonnes que celles de mon précédent album, qui n'avait pas très bien marché.

Quel a été le déclic?

J'ai reçu une chanson de Thierry Stremler qui m'a tout de suite plu. Un piano avec un déluge de cordes qui, toutes proportions gardées, m'a fait penser à Rachmaninov. J'ai donc écrit une histoire se déroulant au XIXe siècle que j'ai fini par intituler L'Amour fou, titre devenu par la suite celui de l'album.

Par référence à l'ouvrage  d'André Breton?

Non, je n'ai jamais pu lire ce livre, ni aucun autre d'André Breton d'ailleurs. L'amour fou est une expression tellement courante qu'elle appartient à tout le monde. Peu ou prou, ce thème a finalement servi de direction aux autres textes.

C'est aussi le titre de votre livre…

Mon éditeur me pressait de publier un récit qui dormait dans mes tiroirs depuis une trentaine d'années et que je n'avais pas du tout l'intention de sortir! Et puis j'ai pensé que ce pouvait être une bonne idée de publier pour mes 50 ans de chansons mon nouvel album avec le récit qui a été la matrice de presque tous mes textes depuis le début. Jean-Marie Périer, le photographe de Salut les copains, m'a beaucoup encouragée. Étant indécise de nature, son enthousiasme a eu raison de mes doutes.

Pourquoi avez-vous écrit ce texte?


Parce que je n'allais pas bien! Ma seule façon d'adoucir mes douleurs aura été de les sublimer dans mes chansons ou dans mes écrits. La simple rédaction de ce récit me faisait du bien et me permettait aussi d'y voir plus clair ainsi que, peut-être, de prendre une distance salutaire vis-à-vis de moi-même et de mes tourments.

Refusez-vous beaucoup de mélodies?

Je me suis fixé une règle: ne jamais enregistrer une chanson que je n'aime pas. Quitte à beaucoup blesser son compositeur. Par exemple, j'attendais avec angoisse la chanson promise par Julien Doré, un artiste très talentueux, très attachant. Il s'était tellement investi et a l'air tellement sensible que je craignais de lui faire beaucoup de mal si sa chanson me déplaisait. Quand il me l'a communiquée, j'avais peur de l'écouter et, finalement, j'ai été très soulagée: Normandia est l'une de mes préférées sur cet album.

Comment vous vient l'inspiration?

Je ne suis capable d'écrire qu'à partir d'une mélodie qui me plaît assez pour que je puisse l'écouter non-stop sans jamais me lasser. À partir de là, j'y pense sans cesse. Pour la chanson de Calogero, les paroles du début m'ont été inspirées par la chanson de Guy Béart qui s'appelle Vous. C'est un bijou. J'avais presque envie de la reprendre sur mon album si je manquais de chansons. Le texte dit «Ah j'aurais pu dire encore/Que j'aime tant votre corps/C'est faux, ce que j'aime en vous/C'est vous». Cela m'a inspiré le propos inverse: «J'ignore si ce que j'aime en vous, c'est vous.» Parce qu'en réalité, c'est très difficile de savoir. Est-ce l'autre qu'on aime ou l'idée qu'on s'en fait?

Redoutez-vous la page blanche?

Je suis d'un tempérament angoissé et mon angoisse atteint des sommets au moment de l'écriture. Au soulagement de disposer d'une belle mélodie succède l'angoisse très forte d'être incapable de trouver le moindre mot digne d'intérêt dessus.

Que pensez-vous du retour en force des années yé-yé?


Honnêtement, je m'en fiche. J'entends beaucoup une excellente reprise de Laisse tomber les filles . La troupe de Salut les ­copains , enfin ce que j'en ai entendu à la radio, dégage un vrai dynamisme. Ça peut plaire. Quant à moi, je ne suis pas ­intéressée. Je préfère le travail de mon fils Thomas et celui de Julien Doré. Ce sont les deux artistes que je préfère chez les jeunes gens. Chez les filles, je préfère écouter Camille ou le dernier album de la Grande Sophie que je trouve formidable. J'étais heureuse aussi de faire la connaissance de Katie Melua qui a repris l'un de mes titres, même si j'ai été un peu déçue par sa version. C'est une artiste que j'aime beaucoup.

Que pensez-vous de la scène actuelle?

La voix d'Amel Bent me bluffe. Mais les maisons de disques signent trop d'artistes qui chantent tous de la même façon. Cela dure depuis des années. Je me tiens au courant des meilleures ventes de disques en France et vais souvent sur les sites de téléchargements légaux pour écouter des échantillons. La plupart du temps, je suis consternée.


Êtes-vous nostalgique des stars d'hier?


Dans mon musée imaginaire, je mettrais Trenet, Aznavour, Bécaud, Brassens… d'immenses mélodistes. Une chanson, pour moi, c'est avant tout une mélodie. Le texte est à son service. Je déplore que beaucoup de chanteurs français considèrent que ce soit l'inverse. Ils sont trop cérébraux, trop intellos, pas assez musiciens, et leurs mélodies sont souvent pauvres. Ils veulent simplement dire quelque chose avec des mots plus qu'avec des notes. Ils devraient se contenter d'écrire et laisser la musique tranquille.

Quelles sont les principales qualités de votre fils en tant que musicien?


Écoutez Sésame sur son dernier album. De nos jours, c'est un véritable exploit de faire une mélodie aussi belle, aussi simple et originale avec un texte aussi émouvant, aussi simple et original. Écoutez aussi Viens dans mon île sur l'album précédent. Une pure merveille sur le plan mélodique! Il a été attiré par Django Reinhardt sur le tard. Enfant, il a été bercé par les premières chansons de Véronique Sanson et Michel Berger. Son don pour la mélodie vient en partie de là aussi.

Qu'a-t-il pensé de votre disque?


Je lui ai fait parvenir dès le mixage fini. Il a eu une écoute très attentive et m'a fait part de ses réflexions, toujours très judicieuses. Mais il était trop tard pour modifier quoi que ce soit. Cela m'a fait penser à mon bouquin: je ne l'ouvrirai plus jamais de peur d'y trouver des coquilles et, surtout, parce que plus rien n'est améliorable.

Le monde de la littérature  vous fascine-t-il?

J'ai connu Patrick Modiano dans ma prime jeunesse et je le considère depuis le début comme l'un des plus grands écrivains français contemporains. Son écriture est envoûtante. Même quand je relis ses livres, je ne peux plus m'arrêter!

Et la politique?  Vous avez récemment fait le «buzz» en évoquant les mesures fiscales du gouvernement…


Je ne souhaite pas revenir sur ce sujet. Ce que je peux dire, c'est que tout est fait pour chasser les quelques personnes riches créatrices d'emplois qui vivent encore en France. Je n'en fais évidemment pas partie. Même si j'ai toujours bien vécu de mon travail et suis matériellement très privilégiée, je ne suis pas richissime. Tout le monde devrait lire le livre passionnant d'entretiens croisés d'Alain Juppé et Michel Rocard. Le premier dénonce très intelligemment l'absurdité de l'ISF et le second tombe d'accord avec lui. En conclusion, la France, qui est le seul pays où cet impôt existe, ne peut pas avoir raison contre tout le monde!

L'Amour fou, un album qui sonne juste

Au cours d'une carrière exemplaire, qui court sur cinquante années, Françoise Hardy a parfois exploré d'autres couleurs musicales que la mélancolie pour laquelle elle est la plus connue. On se souvient d'une parenthèse soul-funk effectuée au début des années 1980, qui lui valut quelques tubes. Il y eut aussi les grosses guitares de Le Danger, un album réalisé par Rodolphe Burger au milieu de la décennie suivante, qui déconcerta le public de la chanteuse.

L'Amour fou est peut-être aujourd'hui le disque qui ressemble le plus à son auteur et interprète. L'album n'offre que des chansons lentes, et tristes, qui se déploient comme des variations autour du thème de l'amour malheureux. Pianos, cordes, arrangements teintés de romantisme: Françoise Hardy ne fait aucune concession, ni aux radios ni à l'air du temps. Et cela lui réussit magnifiquement. Thierry Stremler, collaborateur régulier, signe trois des plus saisissantes mélodies de l'album, dont la chanson-titre, qui sonnent déjà comme des classiques. Calogero a apporté le premier single extrait du disque, Pourquoi vous. Julien Doré est le seul collaborateur à ­signer paroles et musique, avec la très ­belle Normandia. Françoise Hardy a écrit elle-même l'ensemble des autres textes, à l'exception notable de Si vous n'avez rien à me dire, poème de Victor Hugo, à la saisissante modernité. La voix de Françoise Hardy n'a jamais sonné aussi juste que sur cet album habilement mis en son par Dominique Blanc-Francard et Bénédicte Schmitt. La tonalité crépusculaire des chansons ne fait jamais verser le ­disque dans le pathos. Ce qui n'est pas le cas du livre qui paraît sous le même titre, ­roman un peu lourd que la chanteuse a écrit par intermittence ces trente ­dernières années. Et si L'Amour fou était le plus beau disque de la carrière de Françoise Hardy? (Olivier Nuc)

Achetez L'amour fou, de Françoise Hardy (Albin Michel): 182 pages, 16,50 euros

Achetez L'Amour Fou, l'album (EMI Music France): 10 titres, en collaboration avec Thierry Stremler, Julien Doré, Benoît Carré, Bertrand Pierre. Dans les bacs le 5 novembre

lundi 5 novembre 2012

Françoise Hardy au micro du Grand Mag (RTBF)

Françoise Hardy était l'invitée du Grand Mag sur la RTBF ce lundi 5 novembre 2012, réécoutez l'interview :

Françoise Hardy dans "On repeint la musique" sur France Bleu Interview avec

Françoise Hardy était l'invitée de Serge Poezevara dans On Repeint La Musique sur France Bleu ce dimanche 4 novembre. Réécoutez l'interview ici

Françoise Hardy : la chanson comme un baume (Le Monde)

Par Véronique Mortaigne, Le monde, 05.11.2012


La chanteuse Françoise Hardy à Paris, le 20 mars 2009.

Françoise Hardy met des distances hygiénistes. "Je ne serre plus la main des gens", précise-t-elle, puis parle, sans poser de limites formelles. "Les chansons m'ont toujours apporté tellement de joie, de bonheur, de rêve ! Quand elles sont belles, et même tristes à pleurer, elles sont comme un baume. Voilà l'utilité du chanteur."

Elle vient de déménager, troquant un triplex où "Jacques [Dutronc] avait son étage" et elle le sien pour un appartement de plain-pied, entouré de verdure. Il y a parfois des insectes, c'est ennuyeux. Jacques, qui vit en Corse, y a perdu son espace : "Il a l'impression d'être SDF", s'amuse-t-elle.

Dans son autobiographie, Le Désespoir des singes... et autres bagatelles, (Robert Laffont , 2008 ), la chanteuse aux deux carrières - celle qu'elle réprouve, "les chansonnettes du début", et celle qu'elle revendique, à partir de La Question (1971) - raconte comment elle a appris, en 2003, qu'elle est atteinte d'un lymphome de type MALT.

Puis, ce sont genoux fous, plèvre décollée, stress en quantité, coeur en affolement : Françoise Hardy, 68 ans, est une intranquille. Elle publie aujourd'hui L'Amour fou, oeuvre à double face : un disque de dix titres chez Virgin/EMI (son 27e) et un roman de 190 pages chez Albin Michel. Hier, dit-elle, elle était au 36e dessous, tout à l'heure, même. A présent, en ce début d'après-midi automnal et ensoleillé, ça va. Elle est en jeans, porte un blouson d'adolescente bleu marine et blanc. Elle est vive, loquace, brillante et brouillonne, avec une énergie intacte.

"Vous sentez-vous menacée ?

- Je ne sais pas si je serai là l'année prochaine. Je n'arrive pas à m'habituer, j'ai toujours été très indépendante, très active. Depuis trois ou quatre ans, je dois marcher très lentement, je n'ai plus la force. Je suis sur un fil. Il est très handicapant de ne pas pouvoir compter sur soi-même, j'aime bien contrôler, planifier." "Le vieillissement est une épreuve, ajoute-t-elle avec une vigueur de ton tranchant sur le propos, est une épreuve. Tout se déglingue, on voit plus mal, on a mal partout. Heureusement, les plus jeunes ne réalisent pas."

En novembre 2011, c'est les bras dans le plâtre qu'elle vient assister au concert de son fils, Thomas Dutronc, aux Folies Bergère à Paris. "Un matin, en allant chercher le courrier avenue Foch [son ancienne adresse], je me prends les pieds dans le fil de l'aspirateur que passait un employé, et je fais un vol plané. Je me fracture le poignet gauche, le coude droit, je me retrouve à l'hôpital."

Les coulisses des Folies Bergère sont dangereuses - "Il y a mille occasions de se casser la figure !" -, des rideaux, des fils, des caisses, des couloirs étroits. Françoise Hardy évoque Patients (Don Quichotte éd., 163 p. 15€), l'autobiographie où le slameur Grand Corps Malade, rendu infirme par un mauvais plongeon, raconte le calvaire de la dépendance. L'Amour fou, l'album, se termine par Rendez-vous dans une autre vie, sur une musique plutôt dansante de François Maurin.

"L'Amour fou parle-t-il de la mort ?

- La mort ? Ah ! Oui, vous voulez parler de Fous de Bassan ? C'est une chanson que j'ai écrite à partir d'un fait-divers. Comme toutes les personnes qui vivent seules, j'écoute beaucoup la radio. Je suis dans ma cuisine en train d'éplucher mes légumes, et j'entends ces histoires récurrentes de jeunes filles parties se promener et qui disparaissent parce qu'elles ont croisé un monstre. Cela fait froid dans le dos. A la télévision, j'avais vu un documentaire sur la mer du Nord, avec des fous de Bassan, ces horribles oiseaux, terrifiants à entendre, qui prolifèrent accrochés sur des rochers [vers l'île inhabitée de Bass Rock, en Ecosse]. La mélodie, très aquatique, est signée de Pascal Colomb, qui avait été assistant au studio Plus 30, où j'ai beaucoup travaillé."

Une flamme transparente anime derechef Françoise Hardy. Elle part toujours, dit-elle, des mélodies qu'on lui envoie. "Après, j'écris. J'ai une écriture concise, simple, pas vraiment poétique, ni lyrique ni hermétique." Elle adore le travail en studio, particulièrement à Labomatic que dirigent Dominique Blanc-Francard et sa femme, Bénédicte Schmitt. Elle appartient à la communauté des chanteurs, des mélodistes français. Julien Doré, avec qui elle avait chanté BB Baleine (sur l'album Bichon), lui donne Normandia, chanson magnifique traitant des "coeurs imbéciles". Julien Doré, poursuit-elle, est un mystère : "Il est très particulier, il a un univers, il ne ressemble à personne. J'apprécie beaucoup cela chez quelqu'un." Elle adore Sucrer les fraises de la Grande Sophie, déteste le rap, et ne pensait pas écrire de nouvel album après La Pluie sans parapluie publié en 2010.

"Comment vous êtes-vous remise au travail ?

- Rien n'a été prémédité. Pour le dernier album, j'avais eu la chance de trouver de très belles mélodies, mais il n'avait pas très bien marché ; 75 000 exemplaires - ce que la maison de disques trouvait très bien par rapport à la difficulté des temps et à mon statut. Je pensais que je ne trouverais plus d'aussi belles mélodies. Mais Thierry Stremler m'envoie une chanson, qu'il chantait de sa voix un peu aigre, avec un piano et un déluge de cordes. Ça m'a plu au-delà de tout ! Cela m'évoquait le XIXe siècle, l'ambiance des concertos pour piano de Rachmaninov. Donc, j'ai écrit cette histoire, "Serions-nous insensibles à l'amour impossible, à l'amour fou..." Même galvaudé, c'est un très bon titre, L'Amour fou."

Hardy ne sombre jamais : si elle brûle de ses excès, elle maintient cette distance kaléidoscopique qui lui octroie son élégance. Qu'elle s'interroge sur les maux du coeur (Pourquoi vous ?, composée par Calogero), ou qu'elle chante Victor Hugo (Si vous n'avez rien à me dire, mis en musique par Bertrand Pierre), elle joue avec le feu en se jouant des brûlures.

Monsieur X, héros du roman, un homme brillant, élégant, effarouché et cruel, qui lui échappe et la met à la torture, est un Saint Graal que rien n'empêche de poursuivre.

"Qui se cache derrière Monsieur X ? Jacques Dutronc ?

- Monsieur X emprunte aux uns et aux autres, ces hommes qui avaient le même profil, ou chez qui je provoquais les mêmes attitudes. Ce roman est, comme me l'a dit Denis Olivennes [directeur du Pôle information du groupe Lagardère], la matrice de mes textes. Mon éditeur, Stéphane Barsacq, qui m'avait convaincue de publier mon autobiographie, savait que j'avais ce texte dans mes tiroirs depuis une trentaine d'années. Je n'avais pas envie de le publier. Avec tous ces problèmes de santé, il y a des moments où je me sens tellement mal ! Il y a un an, j'ai pensé que j'allais passer de l'autre côté. Je me suis interrogée : que dois-je faire de cela, est-ce que je le jette ? Cela va embarrasser Thomas s'il tombe dessus... J'ai envoyé deux chapitres à Jean-Marie Perrier." Le photographe et ami a aimé, beaucoup.

Et puis, elle cherchait "une accroche supplémentaire pour l'album, sachant que je n'allais pas passer à l'Olympia, ni au Stade de France !" - la dernière fois qu'on l'a vue en scène, c'était en 1997, au Palais des sports, pour un duo avec Julien Clerc qui y fêtait ses 50 ans. "Il m'avait convaincue de chanter Mon ange, en disant : on ne te verra pas, on ne t'entendra pas."

Françoise Hardy chante toujours très bien, sans travailler sa voix. Elle est fière, avoue-t-elle, de cet album très homogène, "avec des mélodies pop-rock et d'autres plus lentes, accompagnées par de vraies cordes", celles du Macedonian Radio Symphonic Orchestra. Cinquante ans de sous-développement voulu par les régimes "d'extrême gauche" (communistes) auront eu pour vertu de rendre les prix accessibles.

Oui, elle fait toujours de l'astrologie. Elle parle, ouvre la fenêtre. Barack Obama est une belle âme, Copé et Moscovici sont deux moulins à paroles ; ni Jacques ni elle ne sont concernés par les fameux 75 % de prélèvements appliqués aux plus riches . "Oui, je me soucie. Le climat est anxiogène pour tout le monde. Nous sommes privilégiés, et les gens qui sont les plus à plaindre sont ceux qui perdent leur boulot".


Achetez L'amour fou, de Françoise Hardy (Albin Michel): 182 pages, 16,50 euros

Achetez L'Amour Fou, l'album (EMI Music France): 10 titres, en collaboration avec Thierry Stremler, Julien Doré, Benoît Carré, Bertrand Pierre. Dans les bacs le 5 novembre

vendredi 2 novembre 2012