mercredi 31 octobre 2012

Françoise Hardy : un roman et un album pour chanter "L’amour fou" (France TV)

Quatre ans après son autobiographie "Le désespoir des singes" (Robert Laffont, 2008), qui avait fait grand succès, Françoise Hardy publie cette fois un roman, "L’amour fou", qui sort en même temps que son dernier album éponyme.

Par Laurence Houot, France TV, Publié le 31/10/2012

Après une autobiographie réussie, Françoise Hardy s’est cette fois aventurée dans l’écriture d’un roman, sans abandonner toutefois totalement sa propre histoire. Elle ne s’en cache pas, "L’amour fou" est inspiré de sa vie amoureuse, concentré d’amours vécues et de personnages masculins aimés.

Dès les premières pages du livre c’est dit, ça ne va pas être joyeux. Sa vie sentimentale est une répétition d’histoires dont le scénario ne varie guère. Une femme, peu sûre d’elle, tombe éperdument amoureuse d’un homme, qui lui en fait voir de toutes les couleurs.  La femme subit les humeurs de l’homme, tantôt tendre, tantôt glacial. La pauvre amoureuse ne vit plus qu’au rythme imposé par l’objet de sa passion, un pas en avant, un pas en arrière, entre joie sans retenue et désespoir non contenu.

L'enfer et le paradis

Dans ce roman, l’homme s’appelle "X." et la femme "Elle". Ils sont jeunes et beaux, ont en commun la grâce et l’élégance et aussi une forme de manque de confiance en soi, qui rend toute relation amoureuse condamnée d’avance à la souffrance.

Le récit est débarrassé de toute contingence extérieure, entièrement consacré à ce huis clos amoureux. Un homme et une femme, seuls au monde, où sont à peine évoquées les autres amours de "X.", ou la vie qui va.

Si le livre est un roman, on se demande pourquoi Françoise Hardy n’a pas donné de nom à "X." ni à "Elle". On se demande aussi pourquoi vers la fin du livre, "X." se transforme en "tu" et "Elle" en "je". On se réjouit  seulement que le style s’en trouve miraculeusement allégé.

Ce jeu de "Je t’aime moi non plus" est entrelardé d’analyses psychologiques, hélas inopérantes sur le déroulement malheureux des événements. De dénouement il n’y en a pas, les amoureux étant éternellement condamnés à souffrir. Rien à voir donc, avec "L’amour fou" de Breton, qui était au contraire une invitation au bonheur à deux.

Que faire ? Ecouter le prometteur dernier album de Françoise Hardy, dont des extraits circulent déjà un peu partout sur la toile, et se consoler de ce roman un peu maladroit, en se disant que toute cette souffrance n’aura finalement pas servi à rien.



Achetez L'amour fou
, de Françoise Hardy (Albin Michel): 182 pages, 16,50 euros

Achetez L'Amour Fou, l'album (EMI Music France): 10 titres, en collaboration avec Thierry Stremler, Julien Doré, Benoît Carré, Bertrand Pierre. Dans les bacs le 5 novembre

[ EXTRAIT DE L'AMOUR FOU]
"C’était moins l’apparence physique de X. qui l’attirait pourtant, que la qualité particulière de sa lumière. Une lumière douce, discrète, qui diffusait sans aveugler, bien qu’incertaine encore, comme la flamme vacillante que le moindre souffle peut soit renvoyer à l’ombre dont elle émerge à peine, soit renforcer. Il avait dû naître à l’aube ou au crépuscule, non en plein midi. Dans quel terrain vague? Fruit de quels hasards ? Il paraissait sans racines, aussi peu concerné par lui-même que par les autres, entre incarnation et évanescence, mouvement et immobilité. Il ne fallait pas s’en approcher trop près, ni s ‘en éloigner trop loin, pour qu’il ne parte pas en fumée…"

lundi 29 octobre 2012

Françoise Hardy : “Je suis passionnée par tout ce qui traite de l'amour vrai” (Télérama)

Entretien | Elle est franche, au risque de déplaire. Françoise Hardy sort un disque intense, “L'Amour fou” et fait le point sur les polémiques passées.


Propos recueillis par Valérie Lehoux, Télérama, Le 29/10/2012

L'amour, la chanson, les polémiques, les adieux... Françoise Hardy a accepté de nous parler de tout cela à l'occasion de la sortie, lundi prochain, de L'Amour fou (Virgin/EMI), un disque (accompagné d'un livre), qui marque le cinquantième anniversaire de ses débuts. Elle raconte ce que ce nouveau disque représente pour elle. Et s'explique sur les remous qu'avaient suscités ses déclarations sur l'ISF. Enfin, en avant-première et en vidéo, nous vous proposons de découvrir plusieurs titres de son album.

Vos déclarations anti-ISF dans la presse, au printemps dernier, ont créé la polémique...
D'abord, contrairement à ce qui a été écrit, je n'ai pas parlé de « drame » des gens qui payent l'ISF. Le drame, ce sont les gens qui perdent leur emploi à cause des délocalisations et de la crise, et dont on entend parler tous les jours dans les journaux. Ensuite, je n'ai jamais dit que j'allais me retrouver à la rue. C'est absurde. Et encore moins que j'allais m'exiler ! Ce qui s'est passé, c'est une conversation off, en marge d'une interview croisée que j'ai donnée avec Katie Melua. A un certain moment, le journaliste lui demande où elle habite ; elle parle de New-York et de Londres, et je lui dit que ce sont deux villes où j'aurais pu vivre... C'est tout ! Ensuite, le journaliste enchaîne en me demandant où j'habite ; je lui dis, toujours en off et très honnêtement, que je suis avenue Foch mais que je vais être obligée de déménager à cause des impôts devenus trop lourds. Et quelques jours plus tard, je lis avec stupéfaction que je vais partir en exil fiscal ! Ces sont des dénaturations totales.

Comment avez-vous réagi ?

Cette histoire m'a excédée. Elle a dégénéré. Des journaux, même sérieux, se sont mis à parler de moi, qui ai tout le temps payé mes impôts rubis sur l'ongle, qui n'ai jamais trafiqué quoi que ce soit, qui n'ai jamais bougé de France... Pourquoi ne parlent-ils pas des artistes en effet exilés fiscaux, en Belgique ou en Suisse ? On me fait passer pour une vieille diva qui veut partir planquer ses milliards à New York ou à Londres – qui sont d'ailleurs parmi les villes les plus chères du monde. Or si je suis très privilégiée, je ne suis pas assise sur un tas d'or. Mais qu'importe. Je n'ai jamais envisagé une seconde aller vivre à des milliers de kilomètres de mes amis et de ma famille. Arrêtons avec ça.

Dans toute cette histoire, vous avez semblé très engagée politiquement...
Beaucoup de gens de ma génération, qui sortent du petit peuple et pas de la bourgeoise – ce qui est mon cas –, ont grandi dans des familles qui votaient à droite. Chez moi, on était gaulliste. J'ai gardé cette sensibilité. Mais je ne suis pas une idéologue. Je n'apprécie pas tout ce qui se dit ou se fait à droite, et je ne dénigre pas tout ce qui se fait ou se dit à gauche. A vrai dire, fondamentalement, je suis plutôt centriste.

Pour revenir au disque, vous semblez n'avoir jamais chanté avec autant d'intensité...
J'ai senti, quand j'enregistrais les voix, qu'il régnait une espèce d'état de grâce. Que j'étais portée par les mélodies et par la qualité du son. Mélodiquement, ces chansons me correspondent. Il est plus facile pour moi de chanter des chansons lentes que des chansons rythmiques. J'ai pris un plaisir plus grand à chanter. Je l'ai toujours... Mais cette fois, particulièrement. Et puis nous avons enregistré ce disque dans une ambiance très harmonieuse, sans conflit avec personne. C'est rare !

Pourquoi l'avoir intitulé L'amour fou ?

Il y avait cette phrase, dans le premier texte que j'ai écrit pour le disque : « Seriez-vous insensible à l'amour impossible, à l'amour fou »... J'ai trouvé que cela était un bon titre, une bonne matrice pour le reste. Evidemment, je connaissais le roman d'André Breton mais, allez savoir pourquoi, je ne suis jamais arrivée à le lire. L'Amour fou est un titre multiple, qui appartient à tout le monde. Il a donné une direction aux autres textes de l'album.

Il y a beaucoup de tristesse dans ce disque...
Que voulez-vous, il parle d'amour fou... Or la souffrance en est souvent la résultante. L'amour fou, ce sont des sentiments excessifs, et donc une demande excessive qui ne peut mener qu'à de grandes insatisfactions. Une demande excessive émane souvent d'un être vulnérable, pas très équilibré, un peu névrosé ; et si cette demande s'adresse à quelqu'un d'également fragile, pas très sûr de lui, elle le fait fuir... Je pense, et j'espère, qu'il existe des couples s'aimant de manière équilibrée. J'ai connu le couple que formaient Mireille et Emmanuel Berl : ces deux-là s'aimaient vraiment, et ça se voyait. D'une façon générale, je suis passionnée par tout ce qui traite de l'amour vrai. L'amour sublimé. Les films, les livres que j'aime le plus, sont ceux qui en parlent. Au fond aujourd'hui, je vis l'amour fou par procuration ! (rires)

C'est un idéal vers lequel vous tendez ?
J'aurais aimé aimer comme ça. Cela n'a pas été le cas. Et maintenant, tout ce qui est d'ordre amoureux est loin derrière moi.

L'idée du deuil est également très présente...
Disons surtout qu'il se referme sur une chanson, Rendez vous dans une autre vie, qui y fait clairement allusion. Cela faisait un moment que j'avais envie d'une chanson comme celle-ci. Quand on arrive à l'heure des bilans, on a envie de remercier les êtres qui vous ont fait battre le cœur. Je n'en ai jamais voulu à qui que ce soit d'avoir vécu des choses difficiles, car j'ai toujours pris la mesure de ma part de responsabilité, qui était très grande, très grande... Non, je voulais juste remercier l'autre, d'être ce qu'il est, et de m'avoir provoqué des sentiments aussi forts. D'avoir pimenté ma vie à ce point. La chanson dit ceci : « Tous vos non-dits, vos interdits, ont fait le sel de ma vie, ses plus grands défis ». C'est vraiment ce que j'ai vécu.


Françoise Hardy, Rendez-vous dans une autre vie por Telerama_Doc

Est-ce à dire que c'est un disque d'adieu ?
C'est possible. Je vis avec cette idée de dernière fois.

> Ecoutez 4 titres du nouvel album de Françoise Hardy, L'Amour fou

samedi 27 octobre 2012

Les deux amours de Françoise Hardy (JDD)

La chanteuse a donné le même titre, L'Amour fou, à son nouvel album et à son premier roman qui sortent coup sur coup. Un défi à sa santé fragile et à son stress, mais pas à son style invariablement mélancolique et élégant.  


Par Alexis Campion - Le Journal du Dimanche, Samedi 27 octobre 2012

Cinquante ans qu'elle chante les aléas du couple, le gouffre de l'amour. Et ne s'en lasse pas, même si, dans sa vie, Françoise Hardy cultive désormais son image de louve solitaire. Lorsqu'elle ouvre la porte de l'appartement où elle vient d'emménager au premier étage d'un immeuble moderne du 16e arrondissement, dans un vaste salon sans décoration à l'exception de sa fidèle statue de Bouddha en or, elle apparaît seule, mèche blanche et regard défiant. Toujours plus maigre mais plutôt vive, quoi qu'elle en dise.

Comme chaque fois, elle refuse de serrer la main et se plaint de son "extrême fatigue" avant de se détendre. Une petite musique qu'on lui connaît mais qu'elle nous ressert avec force en cette rentrée, marquée par la sortie concomitante de son album et de son premier roman, tous deux intitulés L'Amour fou. Mettant l'accent sur sa santé défaillante et son stress toujours au top, elle ira jusqu'à nous certifier qu'elle est "une loque humaine", qu'elle a "cru mourir" au lendemain de son déménagement…

Mais pas jusqu'à nous faire avaler que le nouveau gouvernement l'a mise "à la rue" ou qu'elle ourdit son exil. "C'étaient des propos off! J'ai été consternée de les voir publiés. Comment pourrais-je lâcher Paris, qui est mon bocal, et les quelques amis qui me restent ? Et mon fils Thomas qui vit là, même s'il est toujours en vadrouille ?" Bien sûr, elle aurait pu être tentée par New York ou Londres, mais autrefois. "À près de 70 ans et avec tous mes soucis de santé, même aller en Corse me pose problème. Alors vivre ailleurs ! Il me faudrait être très riche pour emmener mes cliques et mes claques. Or je ne suis que privilégiée."

"Je n'étais pourtant pas très motivée"


Elle évoque sans transition le lymphome qui lui a été diagnostiqué en 2004 "par un ophtalmo qui fait l'admiration de tout le monde", puis ce dermato qui l'a examinée "nue comme un ver sous un éclairage de néon et sous toutes les coutures", mais a eu le tact de lui expliquer qu'il y a des lymphomes plus ou moins méchants. "Le mien l'est moins malgré ses effets très pénibles sur l'état physique et la vie." Et voilà qu'elle embraye sur le "très grand" physiothérapeute qui mesure son "chiffre de stress", le pneumologue… Cela pourrait durer des heures, mais elle préfère qu'on évoque tout cela "de manière floue", ne précise rien des traitements qu'elle suit.

On en revient poliment à sa passion pour la chanson et pour l'écriture, qui la tiennent à flot et réservent toujours de bonnes surprises, par exemple ce Piano-Bar sur lequel elle coquine avec le jazz, ou ce majestueux Si vous n'avez rien à me dire…, emprunté à Victor Hugo, sur une musique de Bertrand Pierre. "Je n'étais pourtant pas très motivée. Je me disais que je ne retrouverais jamais d'aussi bonnes chansons que sur le précédent disque, qui, de plus, n'a pas bien marché." Il ne s'est " vendu qu'à 75.000 exemplaires". Une misère pour une suzeraine yé-yé. Mais sa maison de disques, "qui, malgré tout, investit toute une équipe", l'aura rapidement rattrapée. Ainsi que sa passion d'auteur interprète, intacte.

À raison, puisque le résultat est bon. Elle en convient sans voiler sa fierté : "Moi-même, j'étais très étonnée. Il a fallu que j'attende cet été pour me rendre compte de la qualité générale du disque et des voix, en les écoutant sur les installations très perfectionnées de Jacques, en Corse…" A-t-il accroché? "Il a aimé  Pourquoi vous?, de Calogero." Et L'Enfer et le paradis, chanson qui semble lui être adressée? "Je pensais que ça allait l'émouvoir, en effet. Mais non, rien."

"Cette ambiance XIXe siècle dont je suis friande"

Et L'Amour fou, dans tout cela ? Tout part de la chanson d'ouverture, cosignée avec Thierry Stremler. "Une mélodie très romantique comme je les aime, avec cette ambiance XIXe siècle dont je suis si friande en littérature, pour laquelle j'ai imaginé ici un mini-scénario tragique." Ladite chanson met en scène une suivante qui presse sa maîtresse, une comtesse, de rejoindre son amant à l'agonie. "Tout part de l'ambiance musicale et de cette phrase : 'Seriez-vous insensible à l'amour impossible, à l'amour fou?' Je savais ce titre très galvaudé et connu pour ce roman illisible d'André Breton, mais je trouvais ça bon." Et même commode, comme elle l'avoue : "Cela donnait une orientation pas trop difficile puisque toutes mes chansons parlent d'amour malheureux!"

De la trempe de Tant de belles choses (2004) et de La Pluie sans parapluie (2010), ses dernières réussites discographiques, l'album s'en ressent, résolument triste, crépusculaire en diable. "Contrairement à Jacques, qui a pondu des chefs-d'œuvre dès le début, j'ai commencé par des chansons simplettes, souvent très mauvaises. Je ne pouvais faire que des progrès. Alors que lui, au fond, sans doute savait-il qu'il ne ferait jamais aussi fort. D'autant que ses chansons abordent des sujets de société et restent très actuelles." C'est alors qu'elle fond de rire, ne pouvant s'empêcher de glisser ce conseil : "Réécoutez donc Savez-vous planquer vos sous? et J'ai déjà donné, où il cite toutes les bienfaisances, les Petites Sœurs des pauvres, les balayeurs et les facteurs…"


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, de Françoise Hardy (Albin Michel): 182 pages, 16,50 euros

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mardi 9 octobre 2012

Interview Obsession : Françoise Hardy (Obession)

Françoise Hardy, cinquante ans après son premier tube, continue à écrire des chansons qui témoignent de ce qui la hante depuis toujours : la mélancolie. Elle a longuement reçu Obsession dans son domicile parisien pour évoquer tout cela. 




Par Joseph Ghosn, Obssession, 09/10/12

Votre premier disque est sorti en 1962 et aujourd’hui, cinquante ans plus tard, votre nouvel album est marqué par la même mélancolie qui semble vous obséder depuis toujours.

Oui, c’est le fond de mon tempérament. En musique, j’aime avant tout les mélodies lentes, tristes, qui remuent le couteau dans la plaie. Pas d’une façon qui plombe, mais d’une façon qui élève. Parce que cela fait du bien que les douleurs des sentiments se transforment en quelque chose de beau : un beau texte, une belle mélodie. J’aspire toujours à trouver la mélodie déchirante qui me mettra les larmes aux yeux. Une mélodie dont la qualité lui confère une dimension sacrée. Lorsque j’ai la chance de pouvoir en enregistrer une, j’ai peur que ma gorge nouée m’empêche de chanter.

Quels chanteurs vous-ont profondément marquée dans ce sens ?

Ce sont plutôt des chansons que des artistes. Toute jeune, vers 14 ans, j’avais été très touchée par une chanson de Jacques Brel, Je ne sais pas, alors que je ne suis pas fan de lui – la moitié de ses chansons m’insupporte. Il y a eu aussi une chanson de Cora Vaucaire, La rue s’allume… Ensuite, j’ai toujours trouvé dans la pop anglaise et américaine des mélodies émouvantes : I’m Sorry de Brenda Lee, So Sad et Don’t Blame Me par les Everly Brothers, mais aussi Elvis Presley, qui a un feeling extraordinaire lorsqu’il chante des ballades sentimentales.

Quels souvenirs gardez-vous de votre enfance, rue d’Aumale, à Paris ?

J’en garde des bons souvenirs. En vieillissant, je pense davantage à mon enfance. Des images resurgissent. Ce n’est pas tant la rue d’Aumale qui me revient, mais la banlieue de mes grands-parents, Aulnay-sous-Bois, la rue du Tilleul. Lors d’une émission pour la télévision, le réalisateur m’y a emmenée et j’étais très troublée à l’idée de revoir ces lieux, car je fais des rêves récurrents à propos de la maison où je me sentais très mal. J’avais du mal à dormir car j’étais persuadée qu’il y avait quelqu’un dans le soubassement, à côté du lit, et seul le bruit du train qui passait au loin pouvait me rassurer. Je faisais des cauchemars tout le temps et j’avais peur de tout.

Vous êtes-vous servie de cette peur pour vos chansons ?

Non, jamais. J’ai évoqué la peur d’être quittée, de faire du mal ou qu’on m’en fasse. Mais je n’ai pas exprimé d’autre peur. Celle par exemple que les choses puissent s’arrêter du jour au lendemain, le succès, la santé, la vie…

Dans la plupart de vos disques, il y a toujours la même image d’un certain type d’homme, toujours sur le départ.

Oui, une psychologie de bazar dirait qu’ayant eu un père absent j’ai été attirée par des hommes absents. Mon père était un homme très mystérieux, dont je sais peu de choses. Lorsque j’écrivais mon autobiographie, j’ai fait des recherches sur lui. En vain. J’ai écrit à la mairie de Blois où il est né. J’ai probablement une demi-sœur, quelque part, mais il n’existe aucune trace d’elle. Elle est d’ailleurs peut-être décédée, puisqu’elle doit être plus âgée que moi. J’ai toujours senti que mon père avait un faible pour moi, ce qui m’a incitée à l’idéaliser.

Quelle figure d’homme vous hante vraiment ?

Un homme qui ne donne pas prise. Un homme à même de vous faire croire que vous comptez beaucoup pour lui et qui, dans la seconde qui suit, peut vous donner l’impression inverse. Quand on est obsédé par quelqu’un ou quelque chose, cela rétrécit le champ de conscience et vous rend aveugle au monde extérieur. J’ai longtemps cru que l’amour était synonyme d’abnégation. Cela débouche sur des attitudes inadéquates, derrière lesquelles il y a en général la peur d’être quitté. C’est la chanson de Jacques Brel, Ne me quitte pas : « Laisse-moi devenir l’ombre de ton ombre, l’ombre de ton chien… » Cela a été mon schéma : tout accepter pour ne pas être quittée. En même temps, l’obsession rend curieux, elle incite à creuser le pourquoi du comment, à aller aussi loin que possible dans la connaissance de l’autre, dans l’analyse de la relation avec lui… Mon intérêt pour la psychologie et l’astrologie est venu de là.

L’angoisse d’être quittée vous habite-t-elle comme elle habite le personnage du roman que vous venez d’écrire ?
Elle m’a habitée toute ma vie. Le personnage féminin qui a beaucoup de points communs avec moi pense que l’amour est une cause perdue. Ce récit reste malgré tout abstrait, dans la mesure où il est une sorte de synthèse des quelques histoires fortes, parfois brèves, que j’ai vécues – et vu mon âge avancé, j’en ai vécu quelques-unes ! Le personnage masculin est le profil type des hommes qui m’ont attirée tout au long de ma vie. Au fond, cette histoire aura été la matrice de la plupart de mes textes.

Comment la résumer ?

Si j’éprouve une attirance pour quelqu’un, je suis d’abord convaincue qu’il n’y a aucune chance de réciprocité. Forte de cette conviction, je tais mes sentiments pour ne pas embarrasser, ni ennuyer l’autre. Si jamais quelque chose se passe, je crois que ça ne peut pas durer et vis dans l’angoisse des signes annonciateurs de la rupture. C’est ce que j’éprouve pour la vie d’une manière générale et c’est très étrange, parce que la vie m’aura tout de même beaucoup gâtée. Mais comment ne pas s’en méfier dès lors qu’elle finit tellement mal !

Aviez-vous conscience de cela au moment d’enregistrer "Comment te dire adieu" qui évoque ces thèmes ?

Pas du tout. Je réalise mieux tout cela depuis une dizaine d’années. C’est beaucoup trop tard ! La conscience surgit quand l’obsession et l’illusion se dissipent.

Très tôt, vous avez écrit sur votre jeunesse, sur le temps qui file.

J’ai toujours été très sensible à la rapidité avec laquelle le temps passe. Pourtant, je suis d’une génération pour laquelle le temps était long, notamment pour les enfants. Les étés, par exemple, étaient très longs : quatre mois d’un soleil de plomb.

L’arrêt brutal des choses, c’est ce qui vous tient ?

L’angoisse de la séparation. Le samedi, nous allions à Aulnay-sous-Bois et le dimanche soir, ma mère venait nous chercher, ma sœur et moi, pour rentrer à Paris. Mais durant les vacances, elle rentrait sans nous et c’était le cauchemar absolu. Pour les grandes vacances dans une famille autrichienne, lorsqu’elle nous mettait dans l’Orient-Express et restait sur le quai, c’était pire que tout. Mon caractère obsessionnel faisait que je passais tout mon temps à attendre que le facteur vienne et m’apporte une lettre de ma mère. Ce n’est pas une disposition de caractère qui rend heureux…

Avoir un enfant a-t-il changé les choses ?

Non, quand j’ai eu Thomas les choses ne se sont pas améliorées. Avec un tempérament anxieux comme le mien, avoir un enfant augmente l’angoisse, même si l’on est fou de joie de l’avoir. Cela n’a pas atténué non plus mes obsessions de nature amoureuse.

Le fait de chanter dissipe-t-il cela ?

Quand on réussit à exprimer ce que l’on ressent et que le résultat paraît bon, c’est une immense satisfaction. Comme si toutes les douleurs accumulées se concrétisaient en un beau fruit. Une belle chanson justifie tout le malheur qui l’a inspirée.

Au fond, vous avez toujours tourné autour de la même histoire…

Que ce soit dans les livres, dans les films ou dans les séries, je recherche toujours la même histoire : celle de deux personnes attirées l’une par l’autre, mais que tout sépare, en particulier leurs inhibitions respectives. C’est une sorte de drogue, finalement.

Vous en avez parlé avec votre mari Jacques Dutronc ?

On ne peut pas parler avec lui. Tout est dans le non-dit. C’est très difficile. J’en ai plus ou moins pris mon parti. Les quelques fois où je le fais quand même, je m’énerve parce qu’il ne m’écoute pas autant que je le voudrais. Il n’y a rien de plus énervant que tenter d’expliquer quelque chose à quelqu’un qui vous pose quelque temps après une question montrant qu’il n’a rien écouté du tout. Jacques me fait un peu penser au consul du roman de Malcolm Lowry, Au-dessous du volcan. Il est très lucide et pointu, mais comme il n’est pas toujours à jeun, il n’est pas en mesure d’entendre – surtout quelqu’un qu’il connaît trop. Ou alors, il l’entend mais ne se rappelle plus.

C’est tout de même une figure obsessionnelle pour vous, Jacques Dutronc.

J’ai revu récemment À nous deux de Claude Lelouch, avec Catherine Deneuve et lui. À la fin, il y a un plan où il joue du piano : il est à tomber à la renverse de séduction. Le voir ainsi après toutes ces années me fait encore de l’effet, comme s’il était trop beau pour être vrai. J’ai beaucoup chanté là-dessus.

Vous avez vous-même été l’objet des obsessions d’autres gens, notamment des artistes…

Je ne m’en rends pas compte. Je ne suis pas très à l’aise en société. Je ne m’adapte pas facilement et en vieillissant, ce problème s’aggrave.

Avez-vous vu Moonrise Kingdom de Wes Anderson dans lequel Le Temps de l’amour, une de vos chansons, est très joliment utilisée ?

Non, je ne vais plus au cinéma. D’ailleurs, il aurait pu m’envoyer un DVD, le coquin !

J’aimerais bien que certaines de mes chansons touchent des gens. Mais à chaque fois que quelqu’un m’accoste pour parler de mes chansons, ça se limite aux années 1960, comme si je n’avais rien fait depuis trente ans. Souvent, les personnes qui me reconnaissent encore dans la rue ne savent même pas que je chante encore.

Comprenez-vous la fascination que vous avez pu exercer sur Mick Jagger ou David Bowie ?

Je n’avais pas conscience de l’effet que je pouvais faire. Il y a un an, un fan m’a envoyé des émissions des années 1960 dans lesquelles je chantais et que je n’avais jamais vues. Certains plans étaient si beaux que j’ai plus ou moins réalisé l’effet que je pouvais faire à l’époque.

Vous-même, étiez-vous fascinée par Jagger ou Bowie ?

Mick Jagger avait un charisme et un sourire à se damner. Jacques Dutronc aussi. David Bowie de même. J’ai assisté à presque tous ses concerts à Paris, mais je ne suis jamais allée le saluer en coulisse, car il me troublait trop. Et puis un jour, il m’a invitée personnellement à un concert à Bercy. Il m’attendait, seul, à l’entrée des artistes… Après son spectacle, il m’a raccompagnée à la sortie. Il était revêtu d’un peignoir noir et portait des chaussons noirs avec des petites fleurs brodées. C’était très étonnant.

Je l’ai trouvé sublime dans Les Prédateurs, de Tony Scott : la beauté de Bowie, la beauté de Deneuve dans ce film… Je suis subjuguée par la beauté. J’ai par exemple regardé plusieurs fois La Bicyclette bleue, uniquement pour le bonheur de contempler la stupéfiante beauté de Laetitia Casta.

Vous avez été longtemps captivée par votre époque, par le fait d’écouter ce qui se produisait, notamment dans la pop ?

Plus maintenant. J’écoutais comme un sacerdoce Bernard Lenoir sur France Inter. Je savais que chaque soir, même parmi des chansons qui ne me plaisaient pas du tout, je pouvais en trouver une que j’aimais vraiment. J’étais avide de découvrir une chanson qui me bouleverserait et cela arrivait 3 ou 4 fois par an.

On vous dit très solitaire…

Je me sens bien dans la solitude. La lecture a toujours été mon passe-temps favori. Je ne me lasse pas de lire des romans mélodramatiques comme ceux de Henry James ou Edith Wharton. Henry James, par exemple, est tellement pointu, fin, nuancé dans son analyse des sentiments qu’on se dit qu’il a connu tout ça de très près, alors qu’il semble ne pas avoir eu d’histoire personnelle. Chez lui – comme chez Edith Wharton, mais à l’inverse de Jane Austen –, les histoires finissent terriblement mal. En ce moment, j’adore la série Downtown Abbey : c’est tout ce qui me plaît. J’ai adoré Dr House aussi : un personnage a priori détestable qui rejette l’amour tout en étant plein de failles. Tout à fait mon type d’homme. Pour ceux qui doutent trop d’eux-mêmes, percevoir une faille chez l’autre est presque inespéré. C’est un peu comme une porte d’entrée par laquelle vous pouvez vous engouffrer…

La vieillesse vous angoisse-t-elle ?
Je n’aime pas voir vieillir les gens que j’aime. Ni les autres ni personne. Je n’aime pas me voir vieillir non plus et évite de me regarder dans la glace. Le visage qui se ride, le corps qui se flétrit et se déforme, l’enlaidissement et l’impotence que provoque la vieillesse, tout cela m’attriste profondément. Nous vieillissons tous mal.