samedi 27 octobre 2012

Les deux amours de Françoise Hardy (JDD)

La chanteuse a donné le même titre, L'Amour fou, à son nouvel album et à son premier roman qui sortent coup sur coup. Un défi à sa santé fragile et à son stress, mais pas à son style invariablement mélancolique et élégant.  


Par Alexis Campion - Le Journal du Dimanche, Samedi 27 octobre 2012

Cinquante ans qu'elle chante les aléas du couple, le gouffre de l'amour. Et ne s'en lasse pas, même si, dans sa vie, Françoise Hardy cultive désormais son image de louve solitaire. Lorsqu'elle ouvre la porte de l'appartement où elle vient d'emménager au premier étage d'un immeuble moderne du 16e arrondissement, dans un vaste salon sans décoration à l'exception de sa fidèle statue de Bouddha en or, elle apparaît seule, mèche blanche et regard défiant. Toujours plus maigre mais plutôt vive, quoi qu'elle en dise.

Comme chaque fois, elle refuse de serrer la main et se plaint de son "extrême fatigue" avant de se détendre. Une petite musique qu'on lui connaît mais qu'elle nous ressert avec force en cette rentrée, marquée par la sortie concomitante de son album et de son premier roman, tous deux intitulés L'Amour fou. Mettant l'accent sur sa santé défaillante et son stress toujours au top, elle ira jusqu'à nous certifier qu'elle est "une loque humaine", qu'elle a "cru mourir" au lendemain de son déménagement…

Mais pas jusqu'à nous faire avaler que le nouveau gouvernement l'a mise "à la rue" ou qu'elle ourdit son exil. "C'étaient des propos off! J'ai été consternée de les voir publiés. Comment pourrais-je lâcher Paris, qui est mon bocal, et les quelques amis qui me restent ? Et mon fils Thomas qui vit là, même s'il est toujours en vadrouille ?" Bien sûr, elle aurait pu être tentée par New York ou Londres, mais autrefois. "À près de 70 ans et avec tous mes soucis de santé, même aller en Corse me pose problème. Alors vivre ailleurs ! Il me faudrait être très riche pour emmener mes cliques et mes claques. Or je ne suis que privilégiée."

"Je n'étais pourtant pas très motivée"


Elle évoque sans transition le lymphome qui lui a été diagnostiqué en 2004 "par un ophtalmo qui fait l'admiration de tout le monde", puis ce dermato qui l'a examinée "nue comme un ver sous un éclairage de néon et sous toutes les coutures", mais a eu le tact de lui expliquer qu'il y a des lymphomes plus ou moins méchants. "Le mien l'est moins malgré ses effets très pénibles sur l'état physique et la vie." Et voilà qu'elle embraye sur le "très grand" physiothérapeute qui mesure son "chiffre de stress", le pneumologue… Cela pourrait durer des heures, mais elle préfère qu'on évoque tout cela "de manière floue", ne précise rien des traitements qu'elle suit.

On en revient poliment à sa passion pour la chanson et pour l'écriture, qui la tiennent à flot et réservent toujours de bonnes surprises, par exemple ce Piano-Bar sur lequel elle coquine avec le jazz, ou ce majestueux Si vous n'avez rien à me dire…, emprunté à Victor Hugo, sur une musique de Bertrand Pierre. "Je n'étais pourtant pas très motivée. Je me disais que je ne retrouverais jamais d'aussi bonnes chansons que sur le précédent disque, qui, de plus, n'a pas bien marché." Il ne s'est " vendu qu'à 75.000 exemplaires". Une misère pour une suzeraine yé-yé. Mais sa maison de disques, "qui, malgré tout, investit toute une équipe", l'aura rapidement rattrapée. Ainsi que sa passion d'auteur interprète, intacte.

À raison, puisque le résultat est bon. Elle en convient sans voiler sa fierté : "Moi-même, j'étais très étonnée. Il a fallu que j'attende cet été pour me rendre compte de la qualité générale du disque et des voix, en les écoutant sur les installations très perfectionnées de Jacques, en Corse…" A-t-il accroché? "Il a aimé  Pourquoi vous?, de Calogero." Et L'Enfer et le paradis, chanson qui semble lui être adressée? "Je pensais que ça allait l'émouvoir, en effet. Mais non, rien."

"Cette ambiance XIXe siècle dont je suis friande"

Et L'Amour fou, dans tout cela ? Tout part de la chanson d'ouverture, cosignée avec Thierry Stremler. "Une mélodie très romantique comme je les aime, avec cette ambiance XIXe siècle dont je suis si friande en littérature, pour laquelle j'ai imaginé ici un mini-scénario tragique." Ladite chanson met en scène une suivante qui presse sa maîtresse, une comtesse, de rejoindre son amant à l'agonie. "Tout part de l'ambiance musicale et de cette phrase : 'Seriez-vous insensible à l'amour impossible, à l'amour fou?' Je savais ce titre très galvaudé et connu pour ce roman illisible d'André Breton, mais je trouvais ça bon." Et même commode, comme elle l'avoue : "Cela donnait une orientation pas trop difficile puisque toutes mes chansons parlent d'amour malheureux!"

De la trempe de Tant de belles choses (2004) et de La Pluie sans parapluie (2010), ses dernières réussites discographiques, l'album s'en ressent, résolument triste, crépusculaire en diable. "Contrairement à Jacques, qui a pondu des chefs-d'œuvre dès le début, j'ai commencé par des chansons simplettes, souvent très mauvaises. Je ne pouvais faire que des progrès. Alors que lui, au fond, sans doute savait-il qu'il ne ferait jamais aussi fort. D'autant que ses chansons abordent des sujets de société et restent très actuelles." C'est alors qu'elle fond de rire, ne pouvant s'empêcher de glisser ce conseil : "Réécoutez donc Savez-vous planquer vos sous? et J'ai déjà donné, où il cite toutes les bienfaisances, les Petites Sœurs des pauvres, les balayeurs et les facteurs…"


Achetez L'amour fou
, de Françoise Hardy (Albin Michel): 182 pages, 16,50 euros

Achetez L'Amour Fou, l'album (EMI Music France): 10 titres, en collaboration avec Thierry Stremler, Julien Doré, Benoît Carré, Bertrand Pierre. Dans les bacs le 5 novembre

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